Pourquoi la colère agricole repart
Les abattages de troupeaux pour lutter contre dermatose nodulaire contagieuse (DNC) ont déclenché un vaste mouvement de contestations dans le Grand Sud-Ouest. Partout en France, la colère s’étendait en début de semaine avec d’autres ressentiments en arrière-plan comme le Mercosur, la taxe carbone sur les engrais.
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Blocage d’exploitations pour empêcher l’abattage de troupeaux, autoroutes bloquées, trafic ferroviaire interrompu… Du sud au nord, de l’est à l’ouest, les actions syndicales se sont multipliées ces derniers jours. La stratégie du gouvernement pour éradiquer la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), en particulier le dépeuplement total des foyers, est l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Mais le feu couvait déjà, entretenu par bien d’autres sujets : la volonté de la Commission européenne de signer l’accord commercial avec les pays du Mercosur, la taxe carbone sur les engrais ou encore la prochaine réforme de la Pac et son coup de rabot budgétaire.
Petit retour en arrière, là où la situation s’embrase. Le mardi 9 décembre, après la détection d’un animal contaminé par la DNC dans un élevage de Bordes-sur-Arize (Ariège), des centaines de manifestants se mobilisent deux jours pour empêcher l’abattage du troupeau. Les forces de l’ordre finissent par intervenir pour déloger les manifestants. Le 9 décembre toujours, le ministère de l’Agriculture prend la parole pour défendre sa stratégie d’éradication, affirmant que la situation était « sous contrôle ». « La stratégie de l’État n’est pas efficace », répond la Coordination rurale le 11 décembre. « Comment la ministre peut encore prétendre cela », s’étonne la Confédération paysanne dans un communiqué le 12 décembre.
L’union syndicale sur le terrain
Sur le terrain, les barrières syndicales tombent. Coordination Rurale et Confédération Paysanne appellent à la mobilisation nationale. Exceptionnellement alignés et manifestant ensemble, ils disent « non à l’abattage total ». « DNC stop massacre », lisait-on sur les banderoles de militants. Localement, des FDSEA et JA rejoignent le mouvement, pendant que les dirigeants de la FNSEA soutiennent la stratégie du gouvernement. Arnaud Rousseau, son président, maintient que « l’abattage total est la meilleure solution » lors d’une conférence de presse le 12 décembre, même si « c’est un crève-cœur pour les éleveurs ». Pour lui, « si la maladie n’est plus sous contrôle, nous serons mis sous cloche par l’Europe, et ça aura un impact majeur sur le revenu des éleveurs ».
Les blocages se multiplient partout en France. D’importantes manifestations ont eu lieu le week-end des 13 et 14 décembre. « On est parti pour passer les fêtes ici », déclare à l’AFP Cédric Baron, éleveur de bovins à Montoussin (Haute-Garonne), mobilisé à Carbonne, point de départ du précédent mouvement de protestation agricole en janvier 2024. Les Ultras de l’A64 et leur leader charismatique, Jérôme Bayle, reprennent du service. L’A64 et l’A63 sont au cœur de blocages avec de nombreux échangeurs fermés. Des lycéens s’engagent également. Par exemple, le 15 décembre, une quarantaine d’élèves de l’établissement agricole de Marmilhat (Puy-de-Dôme) manifeste auprès d’agriculteurs à l’appel du Modef.
La crise sanitaire prend une autre dimension, politique cette fois, le 14 décembre : la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga, demande au Premier ministre « d’intervenir afin de garantir, dans les plus brefs délais, un dialogue franc et sincère avec les agriculteurs ». Le 16 décembre, Matignon organise une première réunion en milieu de matinée. Sébastien Lecornu demande une « accélération » de la vaccination contre la dermatose que sa ministre de l’Agriculture annonce officiellement en début de soirée.
Trois sujets européens en plus
Les services de Matignon annoncent aussi que le Premier ministre recevra « dans la semaine » les syndicats agricoles qui sont vent debout contre la perspective d’une signature du traité de libre-échange entre l’Union européenne et des pays du Mercosur. Plusieurs syndicats européens ont appelé à se mobiliser.
Près de 10 000 agriculteurs étaient attendus à Bruxelles le 18 décembre, à l’appel du Copa-Cogeca, organisation européenne représentant les agriculteurs et les coopératives. Rien que du côté français, la FNSEA et Jeunes Agriculteurs annoncent la venue de près de 4 000 manifestants. L’objectif est d’interpeller les chefs d’État sur trois dossiers majeurs.
D’abord, la Pac. La FNSEA et JA dénoncent une baisse d’environ 20 % du budget, l’absence d’indexation sur l’inflation et une réforme qui ferait de l’agriculture une « sous-politique » européenne. Le cofinancement des aides directes par les États membres fait craindre une renationalisation et de fortes distorsions de concurrence. La European coordination Via Campesina pointe un budget insuffisant et une politique qui néglige les petits agriculteurs. Ses membres, dont la Confédération paysanne, ont prévu de manifester à Liège le 17 décembre.
Ces mobilisations dénoncent aussi l’accord commercial avec Mercosur. La FNSEA et JA alertent sur des importations massives de produits agricoles ne respectant pas les normes européennes. La Confédération paysanne estime de son côté que le traité favorise l’agro-industrie au détriment d’une agriculture durable. La Coordination rurale du Grand Est a appelé à manifester devant le Parlement européen à Strasbourg le 17 décembre.
Enfin, le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) suscite de vives inquiétudes, notamment sur les engrais importés, qui représentent près de la moitié de l’approvisionnement européen. La taxation carbone pourrait fortement augmenter les coûts de production sans garantir d’alternatives industrielles, mettant en péril compétitivité, souveraineté et renouvellement des générations.
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